Tu vois, comme beaucoup d’enfants des cuisines centrales des années 80, je porte en moi les stigmates de divers traumatismes. Celui de madame Ortega, qui ressemblait à ma Mamé et baragouinait la même patouille franco-espagnole et que, par conséquent, je croyais gentille, mais qui pourtant m’obligeait à finir mon “bisteco”. J’ai grandi à Alès, dans le Gard. Je vous suggère de demander à Lycos d’aller chercher “abattoir Alès”, pour ceux qui ne sont pas au courant. Je vous prie de croire qu’il y a 30 ans les méthodes n’étaient probablement pas plus élégantes et que la qualité des produits qui en sortaient pour rejoindre les assiettes de la cantine scolaire du centre ville oú déjeunaient les chiards des écoles Mandajors, Végalier et Mistral aurait fait passer la gamelle d’un régiment serbe en campagne pour un étoilé Michelin.
Mais je voulais pas parler de ça. Un jour alors que j’étais encore scolarisé à l’école maternelle Mandajors et aussi à celle de La Grand Combe (ouais j’ai suivi une double cursus à ma manière) je revenais d’une excursion à Chanclauson et durant le trajet de retour j’ai gerbé tout mon œuf dur et mes épinards béchamel. L’œuf c’était normal, j’ai toujours trouvé ça dégueu, ça m’a toujours foutu la gerbe. Parfois même simplement l’odeur. Ouais. Ma maman disait que je les digérais pas parce que j’avais pas de foie quand je suis né mais moi je crois que c’est plutôt à cause de la poule avec laquelle j’ai été élevé et que mon père a refusé de tuer parce qu’elle avait pondu un œuf le jour de ma naissance. Une jolie poule rousse comme dans le conte. Mais ces connasses de dames-cantine m’ont forcé à tout bouffer alors que j’avais prévenu que j’allais tout dégueuler. Dans mon souvenir le site de Chanclauson ressemblait à un orphelinat roumain, le pavillon 36 de l’hôpital psychiatrique de Villejuif. Un truc géré par des tortionnaires reptiliens nazis en fuite. Je pense que l’incendie de 1986 qui en est parti et qui a défoncé toute cette partie des Cévennes a été déclenché au cours d’un de leurs rites malsains à la gloire de Pazuzu, Eva Braun ou Frédéric Mistral.
Donc j’ai tout dégueulé. Un truc gore, médiéval. Y’en avait toupar dans le bus. Et à l’arrivée ma mère qui ne me gronde pas et qui dit aux dames-cantine “il vous a dit qu’il allait être malade, pourquoi vous n’écoutez pas les gosses ? Ils se connaissent mieux que vous et ils mentent moins que les adultes ». Bim. Dans ta gueule. Mam, tu as raison mais tu sais, je pourrai plus jamais manger d’épinards. Je sais mon cœur, on fera sans.
Alors j’ai détesté les épinards. Franchement, de toutes les choses que j’ai détesté dans ma vie, c’était de loin la plus facile. Détester les Smiths par exemple c’est pas toujours évident, heureusement que leurs connards de fans coiffés comme Morrissey parviennent à nous faire oublier qu’il y a parfois de bonnes chansons. Détester les épinards c’est trop facile. Surtout quand on les fréquente par la coquine entremise des cantines scolaires. Je sais pas, comment un truc qui a l’aspect, la couleur et l’odeur d’une bousasse fraîche pourrait ne pas en avoir également le goût ? Je demande.
J’ai commencé à me remettre en question en Norvège au mitan des années nonantes. Rewend, notre poto kurde faisait un truc dément avec du riz, des épinards et du yaourt. J’ai cédé à plusieurs plats qui, bien que contenant la salade honni, me paraissaient goûteux. J’ai aimé ce borek fromage épinards mangé à Liège sur le chemin de l’An Vert oú nous allions ouvrir pour Monster et Rudy Trouvé. J’ai réalisé ce pesto d’épinards et puis à Noël j’ai tout à fait cédé face au curry vert d’épinards de mon frangin. Ok. J’aime les épinards. Un tournant dans ma vie parce que ça signifie que tout ce que je m’autorise à avaler, je le puis désormais. Bon je suis pas fan de polenta et je trouve que l’abricot c’est complètement raté comme fruit, mais si je dois bouffer une polenta aux abricots, ma foi, je m’exécuterais sans grimaces.
C’est en tentant de reproduire le curry fraternel sus-cité que je me suis retrouvé en possession d’une copieuse portion de queues d’épinards et de queues de coriandre. J’ai pensé à notre pote Jeanne qui fait les poubelles et qui cuisine un pesto de fanes de carottes. Et après avoir hésité entre la réalisation d’une soupe et d’un truc qui me permettait à la fois de bouffer de l’ail cru et des pâtes, j’ai dit à mon chat “allons y mon vieux Milo”.
En cours de réalisation, l’odeur de la coriandre sans doute, m’a donné envie d’adjoindre du curry au bordel. De toute façons j’ai envie de curry tout le temps en ce moment, doit y avoir un antidépresseur naturel dedans, comme dans le chocolat. Mais bon le chocolat faut que je me calme un peu, j’ai du cholestérol. Et puis merde, je sais pas pourquoi on bouffe toujours le curry avec du riz, moi je trouve ça trop bon avec les pâtes.
Alors donc pour réaliser cette sauce il faut :
- Les queues d’une livre d’epinards frais
- Les queues d’un bouquet de coriandre
- 2 gousses d’ail
- 100 grammes environ de noix de cajou
- 4 cuillères de parmesan râpé
- De l’huile d’olive
- Du curry en poudre
D’abord, tu découpes en tronçons raisonnable les queues et tu les fais cuire 5min à la vapeur.
Ce faisant tu écrases du plat de ta lame les gousses d’ail et tu grilles à keus tes cajous.
Quand c’est prêt tu fous le vert, l’ail, le parmesan et les cajous dans le bol du mixeur-plongeur. Tu mixes-plonges, tu t’aperçois que le machin et plein de fils et est en train d’enrayer ton outil. Ça sent bon la coriandre alors tu soupoudre généreusement de curry. Tu mixes-plonges plus fort et tu t’aperçois que tu es en train de fabriquer un honnête mortier, tu adjoints de l’huile d’olive. Ça délai un peu mais ça reste mastoc. Les cajous sans doute. SI je devais le refaire, je réserverai un godet de l’eau de cuisson des légumes pour assouplir l’appareil.
Peu importe, j’ai servi ça sur des linguines parce que je suis fan hardcore de linguines. Mais c’était pas une super idée je pense, c’était chiant à touiller. Tout bien considéré je le mettrait sur des farfalles.
Bon, c’était bon.
Et le vin ???
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