On a le droit d’avoir envie de coquillettes. Parce qu’elles sont à la sustentation ce que le punk-rock mélodique est à l’âme et Miss Marple au cerveau : un pansement chaud et épais. La vie parfois t’offre des roses, parfois t’arrose de vinaigre blanc coupé de bicarbonate et ça fait pschitt sur ton corps dans tes yeux jusqu’à la parfaite dissolution, et parfois elle t’impose des nuits plus blanches que le lectorat de Magic. Je m’en suis cogné une cette semaine. Oh, pas suite à de décadentes agapes, juste comme ça, gratos, tu verras quand t’auras mon âge. Et le lendemain bah quoi ? Bah le lendemain j’étais niqué. Et chaque seconde passée au bureau à œuvrer à la destruction de l’ambition intellectuelle et du sens critique de mon public, je ne pensais qu’à une chose : des coquillettes.
Et là on va pas se mentir, on est face à un problème. C’est un souvenir de nos heures cadavristes que nous renvoie notre mémoire sensible ; les coquillettes au jambon de chez Maman. Alors on va faire autrement. Pourquoi pas un gratin ? Franchement il pleut sa pute de race depuis 1991 et il fait 11 degrés à la capitale en ce milieu du mois d’août, on peut bien allumer le four. Ouais mais non, je veux damer des coquillettes mais je veux préparer un repas, un peu, quand même. Je veux couper des choses, peler des trucs, écraser de l’ail. J’en fais ma petite séance de pleine conscience quotidienne. J’ai besoin de toi, courgette. Ne le laisse pas.
Tu me connais, je ne suis pas du genre à me laisser éblouir par les stroboscopes de la tendance. J’ai la même dégaine depuis 22 ans, j’ai jamais porté de vans et ma barbe a pour seule fonction de camoufler mon double menton. Et j’ai pourtant été happé ces dernières semaines, par une proposition, sur plusieurs pages de la foodistosphère, et même dans la presse. Je conseille vivement à ce propos le magazine My Cuisine, pas seulement parce que Sand essaie de nous y fourguer des roteux, et en dépit du fait que ce soit un produit du groupe Altice et que par conséquent tu finances un peu les bombardements nocturnes de Gaza en lui confiant tes deniers (pas plus qu’avec ton abonnement SFR, ta soda stream ou quand t’achètes ton Libé à chaque fois que crève une vieille rougne du cinéma français pour pavaner avec la tof en pleine Une dans le métro afin d’écraser symboliquement du poids de ton immense culture la personne assise à côté de toi qui s’est levée à 4h pour nettoyer les chiottes de ton bureau pour que tes fils de pute de collègues et toi chopiez pas ébola sur les virgules de merdes qui s’incrustent sous l’impossibilité pour une main molle et moite de social-démocrate de s’emparer d’une brosse à caca pour assumer l’incapacité de ton trou du cul à gérer d’avoir pris 3 fois du hachis Parmentier à la cantine) ; mais pour moins de 4 balles t’as des recettes à base de choses normales qui se réalisent facilement. Les photos sont affreuses mais bon, t’as vu ta gueule ?
Un risotto de coquillettes, voilà de quoi il est question. J’en ai le duvet du bas de la colonne vertébrale qui frétille tellement j’aime l’idée. Étymologiquement ça n’a aucun sens, mais bon, la social-démocratie non plus. J’imagine tous ces petits fachos normatifs qui tartinent leur intestin grêle sur Slate toute la journée (avec les thunes de qui d’ailleurs ?) devenir tout rouges en tombant un jour serendipitiellement sur ce terme et crier avec des voix aiguës “miiiii la vrai recette du risotto c’est pas çaaaaaaaaa” et lâcher des chapelets de petit crottes dans leur slip éminence comme autant de keftas d’aigreur sur le pain pita de leur suffisance.
Ce que j’aime le plus dans cette histoire de risotto de coquillettes c’est qu’on assume enfin qu’on aura plus jamais assez d’argent pour se demander si on utilise de l’arborio ou du carnarolli avec les morilles. Courgette-coquillettes pour tout le monde. De toutes façons comme le disent les Wampas, un jour ils fermeront les bureaux comme ils ont déjà fermés toutes les usines.
Pour le risotto du peuple il te faut :
- Des coquillettes, un demi-paquet je dirais
- Une courgette
- Une ou deux cébettes
- Deux gousses d’ail
- une poignée de petit pois surgelés
- Du bouillon de légumes
- Une mignonnette de villageoise blanche
- Du beurre
- Du parmesan
- Un bas de survêtement
La première étape est d’enfiler ton bas de survêtement, pour être plus à l’aise. Moi j’utilise un truc épais et mou comme un sénateur socialiste, trop grand pour plus de liberté, 100% coton parce qu’on fait pas la révolution avec un eczéma.
Ensuite tu coupes ta courgette, moi je me démerde pour qu’il reste de la peau sur chaque bout pour une meilleure tenue à la cuisson ; les cébettes en rondelles dans le vert puis en demi-rondelles dans le blanc ; l’ail en hachis après l’avoir écrasé.
Te casse pas le cul à faire un bouillon en cette saison, prends des cubes, genre 2 pour un litre.
Pendant que pousse tranquillou ton bouillon, tu fous les légumes dans une casserole. Ça peut être mieux dans une sauteuse à fond épais mais tu fais comme tu veux, je vais pas te faire chier et ce pour plusieurs raisons. La première est que je m’en bats les couilles taille XXL de ta vie ; la deuxième est que moi-même je ne possède pas de sauteuse mais qu’il ne s’agit en rien d’une conviction. Tu maintiens ton bouillon à frémissement une fois qu’il est prêt.
Quand ça commence à avoir l’air bien, tu jètes tes pâtes dans les légumes et direct, tu verses genre les trois quart de ta mignonnette de blanc dessus et te remues vite pour pas que ça accroche. Tu bois ce qui reste de villageoise le temps que celle qui est dans la casserole réduise parce que merde, on va pas gâcher quoi. Une fois que c’est fait tu adjoint la poignée de petit pois surgelés, tu verses de toutes petites louches de bouillon sur ton bordel et tu lances ta minuterie sur le temps de cuisson des pâtes. Là c’est le moment technique, mais enfin bon, c’est pas non plus comme fabriquer du Molotov sous la pluie avec du baccide. Il faut vraiment mettre le bouillon petit à petit en attendant la réduction à chaque fois, pour qu’il n’en reste pas en excédent une fois le temps de cuisson arrivé à son terme, la pâte est moins flexible que le riz à ce niveau là.
Là tu coupes le feu, tu basardes du beurre et du parmesan et tu touilles. Vu que les pâtes ne recrachent pas d’amidon dans leur eau comme le fait le riz, il ne faut pas s’attendre à un bordel qui pègue comme un risotto. Tu laisses reposer à couvert pour que ça prenne un peu et voilà.
Le bon goût aurait dicté de continuer au blanc après le gorgeon de villageoise mais je n’avais sous la main qu’un côte du Rhône rouge bio-mes couilles oublié récemment par un invité. Ça passe, je n’ai pas eu la chiasse.