La soupe pourrie du jour de merde

Les chrétiens ont inventé le dimanche pour se purger de l’excédant de plaisir pris la veille au soir en ingérant un croûton de pain en papier et un gorgeon de vieille vinasse coupée à l’eau au cours de l’abominable commémoration hebdomadaire de la torture de leur prophète anorexique. Jour du seigneur ? Mes couillles, le dimanche c’est  le vrai jour de la mise à mort. Quelle que soit la saison, la couleur du dimanche est toujours celle d’un épisode de Derrick, le dimanche est le jour du chaton consanguin dans un panier du calendrier des postes et le ciel sans amour de l’intolérable Allemagne. C’est la double peine pour ceux qui disposent encore d’une famille et vont se cogner un gigot cuit à l’eau sur une toile cirée de merde en écoutant les considérations de vieillards qui estiment que parce qu’ils ont fait de la merde toute leur vie, ils sont en position de te conseiller afin que tu gâches mieux la tienne propre. Comme si on avait besoin de qui que ce soit pour être malheureux.

Rappelons l’emploi du temps type du week-end d’un trentenaire. Vendredi soir, réjoui du terme mis à une harassante semaine passée à envoyer des mails pleins de vide à des gens qui ne les liront pas et à ne pas lire des mails envoyés par des connards qui vous imposent leur cordialité, on se dirige vers le comptoir. BàV, trous du cul.

Équipé de la solide ambition d’engloutir 7 pintes dont 3 cul-sec, puis de voir venir, on se surprend à demander si le rade ne propose pas « un petit truc à grignoter » avant d’avoir asséché le premier verre. Le premier bâillement survient alors que la ligne de flottaison avoisine le logo floqué sur le 2e godet. Quand la 3e tournée arrive, on ne pense déjà plus qu’au documentaire sur la selle tissée du cheval d’un probable dignitaire mérovingien trouvée – incroyable ! – en Silésie, sur le replay d’ARTE  devant lequel on souhaite plus que tout s’endormir. Tout le monde s’accorde pour ne prendre qu’un demi.

Samedi, sans le moindre réveil on émerge à la même heure que tous les autres jours. On traîne un peu avant d’allumer la radio et de se mettre de bien vilaine humeur au grès des éructations grabataires et racistes de Finkelkraut. Armé de haine, on chemine vers l’AMAP, seul endroit où des humains en âge de procréer sont autorisés à porter des kickers – on finit par se demander si elles leurs sont fournies en guise de prime annuelle par l’éducation nationale -, pour en retirer son sac de craft alourdi de légumes moches recouverts de merde. Auréolé de la vie saine de laquelle on s’esbaudit, on va damer un burger. Ça reste le seul truc végé facile à trouver. Oh et puis on va se prendre un petit demi avec ça « oh regarde ils ont de l’IPA ! » Bah ouais tête de bite, comme tous les rades de l’Est parisien depuis 5 ans.

Enhardi par 33cl de luxueux houblon, on se décide à « faire » cette exposition en top tweet depuis une semaine, afin d’instagrammer une croûte à laquelle on bite que dalle accompagnée de la légende « passion nouveau réalisme ». On n’avait évidemment jamais vu ces mots accolés il y a encore 17 minutes et si l’honnêteté n’était pas une valeur fossile, on serait bien forcé d’admettre qu’on n’a aucune idée de ce qu’était l’ancien réalisme. Les plus agiles d’entre nous parviendront à insérer au cadre de l’image la toute dernière paire de vans qu’ils se sont offert sur la route du musée.

S’en suit l’apéro du samedi. On le prend tôt et léger, parce qu’il faut qu’on rentre pour avoir le temps de faire pousser la pâte de la pizza qu’on va s’engouffrer avec un « petit gamay nature » devant la télé. C’est bien le gamay nature, ça sent l’étable, ce qui n’est pas sans me rappeler la perte de ma virginité, et ça pétille, or, j’aime roter. De toute façon ça me choque pas le pinard qui pétille, je mets de l’eau gazeuse dans mon pastis, tu vas faire quoi ? Mais surtout, on peut en boire plein et ça c’est bien. En plus on est en survêtement devant la télé, c’est pas comme hier où il fallait marcher au moins 250 mètres pour rentrer du rade.

Arrive dimanche où, passé l’excitation de manger du sel au petit dèj, on se rend bien compte qu’on n’a rien à foutre de sa journée qu’à penser à la semaine à venir. Et que ça a toujours été le cas, et que ce sera toujours le cas. Pénitent éternel, dimanche tu combles la surface poreuse des murailles grises de l’existence avec le mortier de l’ennuie. Tu tapisses le vide en faisant le ménage, la cuisine pour les jours à venir et la putain de soupe pour le soir.

La soupe toute pourrie du dimanche soir se compose des légumes les plus emmerdants de la terre :

  • 1 poireau
  • 1 patate
  • 1 carotte
  • 1 navet

 

Tu fais revenir tout ça en gros bout dans de l’huile. Celle que tu veux, on s’en branle complètement. Tu fous un cube de bouillon de légumes, et un gros demi litre d’eau bouillante. Tu laisses bouilloner pépouze 50 minutes à découvert. Ça pue la vieille cantine.

 

Pendant ce temps, tu prépares des tartines pour aller avec la soupe, comme on faisait dans les bars à soupe du temps de la première diffusion d’Ally McBeal.

  • Des bouts de baguettes
  • Du kiri
  • Du curry vert
  • De l’emmental rapé
Ouais c’est pas végan. Si tu trouves du kiri végan, prends du kiri végan. Pareil pour le rapé, prends du rapé vegan, on en fait du très acceptable avec du sperme de noix de coco à présent. Tu touilles le curry et le kiri, tu tartines ta baguette, tu fous le rapé dessus et tu mets le tout 5 minutes à 200°.
Quand les 50 minutes touchent à leur terme, tu balances les légumes et le bouillon dans un saladier, tu jettes des épices dessus. Celles que tu veux, je m’en bats les couilles. Là tu peux voir sur la photo que j’ai mis beaucoup trop de paprika parce que le bordel m’a échappé des mains. Mais bon, le concept de « mettre beaucoup trop de paprika » c’est un peu le même que de « voter à l’extrême centre ».
Tu mixes-plonges avec ton mixer-plongeur et pour pas que ça garde une substance de vomi, tu ajoutes un truc crémeux. De la crème ou du lait si t’aimes vraiment pas la vie, mais sinon un formage ou, la encore, un substitut végan. j’ai foutu un fond de cette merde « california » qui est une version bio et germanique du philadelphia. Tu remets au feu jusqu’à frémissement. Tu sers en jetant des épices ou des graines ou n’importe quoi qui donne un aspect moins emmerdant à la mixture et tu manges le tout en pleurant.

Un commentaire Ajouter un commentaire

  1. Anna K dit :

    C’est toujours une drôle d’experience la lecture de ces billets qui me font saliver, rire et me donnent envie de mourir en même temps… 😬
    Merci en tous cas pour cette nouvelle expérience.
    Ah et pour les navets, ça fait des lustres que je cherche aussi comment on peut éprouver un quelconque plaisir à les avaler et j’ai tenté la découpe en lamelles très fines et le passage au four avec tofu et sauce tomate + cheddar vegan et c’était pas mal ma foi.

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